Les Troyens - Hector Berlioz(1803-1869)
Act V Scene 1
N° 43 – Scène et chœur
ÉNÉE (passant devant les tentes)
Debout, Troyens, éveillez-vous, alerte!
Le vent est bon, la mer nous est ouverte!
Éveillez-vous!
Il faut partir avant le lever du soleil!
LES TROYENS (dans les tentes)
Alerte!... entendez-vous, amis, la voix d’Énée?...
(Ils sortent des tentes.)
Donnez partout le signal du réveil...
ÉNÉE (à un chef)
Va, cours, porte cet ordre à l’oreille étonnée
D’Ascagne: Qu’il se lève et qu’il se rende à bord!
Avant le jour il faut quitter le port.
Ma tâche, jusqu’au bout, grands dieux, sera remplie,
Alerte, amis! profitons des instants!
Coupez les câbles, il est temps!
En mer! en mer! Italie! Italie!
CHŒUR
Voici le jour, profitons des instants!
Coupons les câbles, il est temps!
En mer! en mer! Italie! Italie!
ÉNÉE (se tournant du côté du palais de Didon)
A toi mon âme! Adieu! digne de ton pardon,
Je pars, noble Didon!
L’impatient destin m’appelle;
Pour la mort des héros, je te suis infidèle.
(Tous se précipitent hors de la scène dans diverses directions, comme pour faire des préparatifs de départ. On voit les vaisseaux commencer à se mettre en mouvement. Éclairs et tonnerre lointain.)
N° 44 – Duo et chœur
DIDON
Errante sur tes pas,
Sous la foudre qui gronde,
J’ai voulu voir, je vois et ne crois pas...
Tu prépares ta fuite?
ÉNÉE
En ma douleur profonde,
Chère Didon, épargnez-moi!
DIDON
Tu pars? tu pars?
Sans remords! Quoi!
Dédaigneux du sceptre de Libye,
En m’arrachant le cœur tu cours en Italie!
ÉNÉE
J’ai trop tardé... des dieux les ordres souverains...
DIDON
Il part!... il suit la voix d’implacables destins,
Sans écouter la mienne! à ses lâches dédains
Il me voit exposer ma douleur surhumaine,
(Elle voit un groupe de Troyens sourire en la regardant.)
Et ma beauté de reine
Aux rires insolents de ces ingrats Troyens!...
ÉNÉE
Didon!
DIDON
Sans qu’à l’aspect d’une telle misère
La pitié d’une larme humecte sa paupière!
Tu pars? Non ! ce n’est pas Vénus qui t’enfanta,
Quelque louve hideuse aux forêts t’allaita!
ÉNÉE
Ô reine, quand à vous se dévoua mon âme,
Elle subit la loi d’un immortel amour,
Et jusqu’au dernier jour
Mon cœur vivra de cette flamme...
DIDON
Tais-toi! rien ne t’arrête;
La mort qui plane sur ma tête,
Ma honte, mon amour, notre hymen commencé,
Mon nom du livre d’or dès ce jour effacé!
Encor, si de ta foi, j’avais un tendre gage,
Oui, si d’un fils d’Énée
Le fier et doux visage
Me rappelant tes traits, souriait sur mon sein,
Je serais moins abandonnée...
ÉNÉE
Je vous aime, Didon : grâce! l’ordre divin
Pouvait seul emporter la cruelle victoire.
(On entend la fanfare de la marche troyenne.)
DIDON
A ce chant de triomphe où rayonne ta gloire,
Je te vois tressaillir!
Tu pars?
ÉNÉE
Je dois partir...
DIDON
Tu pars?
ÉNÉE
Mais pour mourir,
Obéissant aux dieux,
Je pars et je vous aime!
DIDON
Ne sois plus longtemps par mes cris arrêté,
Monstre de piété!
Va donc, va! je maudis et tes dieux et toi-même!
(Elle sort. Des groupes de soldats troyens occupés des préparatifs du départ passent et se dirigent vers les vaisseaux.)
ÉNÉE, LES TROYENS
Italie!
(Ascagne arrive conduit par un chef troyen. Énée monte sur un vaisseau.)